Le Chi-Sau dans le Wing Tsun
Sifu/Guro Marcus Schüssler
Chi Sau dans le Wing Tsun : taoïsme vécu et apprentissage systématique de la stratégie de combat dans un exercice unique.
Le Chi-Sau (traduction : bras accrochés), exercice provenant des arts traditionnels de combat, est du point de vue de la neurophysiologie contemporaine le seul exercice qui peut vraiment induire des changements dans nos comportements primaires.
On a déjà beaucoup écrit et rapporté sur « le pour et le contre » de la pratique du Chi-Sau, mais très rarement sur la corrélation entre l'influence du Chi-Sau et le comportement général d'attaque selon le premier principe du Wing Tsun : si la voie est libre, attaque. Le but de cet article est d'insister un peu plus sur ce sujet.
Le Chi-Sau est structuré en plusieurs étapes, qui diffèrent selon l'organisation ou l'école en terme de temps et détails de contenu. Dans l'IUEWT l'exercice débute avec un seul bras, ce qui rend les techniques de la première forme (Siu-Nim-Tau) beaucoup plus compréhensibles. Après avoir terminé cette étape assez complète, l'orientation sera portée sur le Chi-Sau avec les deux bras, exercice qui est la part essentielle de l'entrainement en WingTsun. Mais c'est ici le Chi-Sau d'un seul bras qui sera utilisé pour la description des bases, qui pourront être transposées dans le Chi-Sau deux bras par vous-même.
Avec le Chi-Sau d'un seul bras, le bras inactif est 'garé' sur le côté du corps comme dans la position élémentaire de Siu-Nim-Tau. Après diverse techniques, la routine „standard de Dan-Chi-Sau“ est introduite, d'une manière similaire pour tous les styles : la position de départ est Tan-Sau (main paume vers le haut) et sur le Tan-Sau repose le Fook-Sau (main faisant le pont). Le partenaire A exécute une attaque de la paume depuis sa position Tan-Sau vers le centre du partenaire B, lequel absorbe et neutralise l'attaque par un Jum-Sau (bras qui „coule“). Ensuite le partenaire B prépare une attaque de poing vers le centre de partenaire A, laquelle sera absorbée et neutralisée par A avec Bong-Sau (bras ailé). Après ceci les deux partenaires retournent à la position de départ et ainsi de suite.
Très souvent un spectateur du Chi-Sau aura l'impression que l'exercice ressemble à une chorégraphie où les deux partenaires „téléphonent“ les attaques avec le corps et donc offrent au partenaire une grande chance de réussite, grâce à une réaction visuelle. Mais cela est contraire à l'objectif véritable du Chi-Sau qui est l'apprentissage tactile. Une meilleure approche est par exemple que l'attaque de paume par le partenaire A, après la déviation par Jum-Sau du partenaire B, progresse encore ; ce qui veux dire en pratique que A exerce une pression continue dans le but de garder sa menace d'attaque. C'est seulement avec une menace d'attaque continue concentrée sur le partenaire que l'on peut être capable d'appréhender les principes de combat du Wing Tsun.
Dans l'objectif de mieux comprendre ce principe d'attaque continue ou menace d'attaque continue nous pratiquons un petit exercice ludique : placez-vous face à face avec un partenaire à une distance d'environ 1,80m. Vous sentez-vous alors menacé d'une façon ou d'une autre par votre partenaire ? Probablement non ! La distance est telle que l'effet de surprise ne peut pas être utilisé contre vous.
Maintenant votre partenaire fait un grand pas en avant ; il reste normalement 90cm. Comment vous sentez-vous alors ? Souhaitez-vous toujours rester volontairement en place, ou préférez-vous vous déplacer pour établir une distance à nouveau confortable ? Quelle que soit votre impression restez sur place pour que nous puissions intensifier ce petit exemple.
Maintenant votre partenaire avance de 40cm de plus. Comment vous sentez-vous ? Ne pensez-vous pas qu'afin de ne pas manquer la dernière chance de rétablir une distance agréable il faut vous déplacer d'urgence ? Si votre réponse est non, vous aimez le risque ! Mais la majorité des gens n'aiment pas lorsque quelqu'un entre dans leur cercle privé. Ce qui réduit leur zone de sécurité est vécu comme une menace.
Mais maintenant nous faisons évoluer encore le jeu : vous vous déplacer dans n'importe quelle direction pour rétablir une distance confortable ou de sécurité. Mais dès que vous entamez votre déplacement le partenaire vous suit et tente de garder la distance acquise, c'est à dire qu'il ne la laisse pas s'agrandir et maintient en permanence la même distance entre vous et lui. Continuez ainsi dans cette dynamique pour quelque temps...
Si maintenant on analyse l'exercice, on reconnaît que nous exprimons continuellement le „réflexe de fuite“ de la neurophysiologie tandis que le partenaire exprime constamment la „menace“. Qui des deux est psychologiquement en position supérieure ? Plutôt votre partenaire que vous même. Ce phénomène s'explique simplement :
Alors que vous devez vous concentrer pendant la fuite (le plus probablement vers l'arrière !) sur bien des choses (il y a une vérification continuelle dans votre esprit : est-ce que ma route de retraite est dégagée ? Est-ce que je conserve ma distance stable ? Puis-je l'augmenter ? Comment garder mon équilibre ? Ainsi de suite...), votre partenaire menaçant, ayant tout dans son champ visuel, lui ne doit se concentrer que sur deux choses primaires : vous et son mouvement vers l'avant. Rien que pour ces faits il est plus raisonnable pour vous d'être une menace et encore mieux un attaquant !
Qu'est-ce que tout cela a de commun avec le Chi-Sau ? Retournons à la situation de l'attaque de paume : après qu'elle soit réalisée puis neutralisée par le partenaire, il devient clair qu'il n'est pas intelligent de cesser la pression ou dit autrement la “menace d'attaque imminente“ car le partenaire pourrait l'utiliser à son avantage pour nous placer nous-même dans la position du menacé. En plus de cela, cette attaque imminente doit être maintenue pour que, si le partenaire retire soudainement son bras hors de la ligne centrale, nous puissions porter le coup instantanément sans pensée ni hésitation. Si maintenant le partenaire ne veut pas lui aussi cesser sa „menace d'attaque imminente“ après la déviation de notre attaque, il doit aussi exercer une pression vers l'avant. Si les deux partenaires suivent ce principe intelligemment, tous deux exercent une pression. En se basant sur cette logique l'existence d'un Wing Tsun zéro pression n'est pas démontrée, par contre l'existence d'un Wing Tsun sans force est possible. Parce que la force ressentie (la force musculaire du corps) est seulement une perception subjective de notre contraction musculaire. Malheureusement nous sommes encore incapables de ressentir la contraction musculaire des autres personnes donc nous ne pouvons la percevoir qu'à travers la résistance de notre propre corps. Et cela peut être affiné par le Chi-Sau qui sert à réduire toute résistance ! Ici le taoïsme a un impact important sur la structure de la technique car le Chi-Sau nous apprend à le connaître dans une expression physique, à l'expérimenter et à nous développer à travers lui.
Ce processus d'appréhender le taoïsme demande des années de pratique avant d'en recevoir les bénéfices. Cela s'accompagne aussi d'une évolution de la maturité de la personne. Par exemple le temps d'enseignement de Yip Man à Hong Kong se divise en différentes périodes où plusieurs de ses disciples furent élevés ; mais ceux-ci divergent dans leurs pratiques. Cela peut être relié au fait que même Yip Man évoluait physiquement et mentalement durant cet enseignement et que c'est l'expérience d'une période qu'il transmettait à chaque disciple. Sa propre évolution ne s'est jamais arrêtée.
Sifu Marcus Schussler
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