@ Cher avocat du
- le shaolin acrobatique est-il dénudé de valeur?
On pourrait déjà se demander "qu'est-ce que des valeurs?" et "comment les fonder?" Je renvoi aux œuvres complète de sifu Nietzsche, qui a consacré sa vie à cette question
et passe à la deuxième partie de la question (puisque la première non formulée constituait une condition de possibilité de la seconde
)
Le shaolin acrobatique est d'une très grande valeur, en tant que shaolin acrobatique. Ces moines sont de remarquables athlètes.
D'un autre côté, on pourrait dire que l'acrobatie est la manifestation la plus superficielle d'un art martial. Et c'est là que la notion d'art, à mon avis, trouve son plein emploi. C'est le kung fu "artistique" qui précisément l'est le moins.
- est-ce que la "modernisation" est une bonne ou une mauvaise chose?
Cela dépend bien sûr de comment elle est faite.
Elle peut être une excellente chose (le résultat personnel du travail à l'intérieur d'un style; il y a forcément une dérive progressive qui tient à la personnalité du chercheur, à ses caractéristiques physiques, à des préférences - il n'y a pas appauvrissement; il y a plutôt variation. Dan certains cas, il peut y avoir perfectionnement - quand le style de départ était un patchwork sans unité).
Ce peut être aussi un appauvrissement. Je pense que la plupart des synthèses bricolées à partir de techniques "qui marchent" sont extrêmement pauvres. L'évolution sportive d'arts qui n'étaient pas à l'origine conçus comme des sports est un appauvrissement. Certains styles s'appauvrissent par défaut dans la transmission et hâte excessive d'arriver à quelque chose "d'efficace". Ainsi, dans le style que je pratique (je le prends en exemple parce que c'est ce que je connais le moins mal), le wing chun, on voit des écoles qui enseignent une espèce de boxe pied-poing dans laquelle tous les principes du style ont disparu.
Étant entendu que je ne parle pas ici "d'efficacité" (dans tel ou tel contexte) ni de valeur intrinsèque mais de
richesse et de
profondeur.
- le rôle de l'État dans cette modernisation est-elle justifiable, valide, néfaste, etc?
Dans le cas qui nous occupe, je pense que le rôle de l'état est néfaste. Mais, bien sûr il faut se demander "néfaste par rapport à quoi et selon quels critères". Je dirais: néfaste dans la perspective d'une transmission "authentique" des styles, mais comme je l'ai fait remarquer précédemment et comme l'a exprimé très judicieusement Phénix, les styles n'ont pas besoin de l'état pour se conserver (c'est d'ailleurs une tradition pour des styles qui se sont développés en secret contre l'état à différentes époques). D'un autre côté, dans ces extrapolations acrobatiques, il y a bien quelque chose qui est conservé, même sous une forme déguisée.
Quant aux côté "fabrique de comédiens virtuoses" pour les films de kung fu, je pense que personne ne va s'en plaindre
Quant à savoir si, sur le principe, le rôle de l'état est néfaste ou bénéfique, eh bien, il faudrait examiner cas par cas les diverses politiques dans beaucoup de pays...
- comment peut-on valider la "traditionnalité" d'un art autrement que par une forme d'acte de foi? Parce que souvent les preuves vont de "très questionnables" à "doutes raisonnables"?
Je suis tout à fait d'accord. Oui et non.
Le grand maître de la lignée de wing chun dans laquelle j'apprends actuellement dit qu'il enseigne ce que son maître lui a enseigné et que finalement c'est ce que Yip Man faisait. Je ne le crois pas. Je crois qu'il serait inconvenant pour lui de se présenter comme un novateur; ce serait une sorte de grossièreté vis à vis de ses maîtres et pourrait induire des contre-sens sur sa démarche. Mais je pense qu'il sait que nous savons que nous ne le croyons pas entièrement. Je pense qu'il veut dire en réalité que, dans l'esprit, son kung fu est celui de ses maîtres. Mais comme par ailleurs il fait état de ses recherches personnelles, il suppose que nous sommes assez fins pour comprendre qu'il n'y a pas de contradiction entre la fidélité qu'il affiche et les changements qu'il a objectivement opérés. Quand il dit qu'il a le sentiment de commencer à sentir comme Yip Man, il veut bien dire "sentir comme" mais ce peut être par des moyens personnels, différents dans l'apparenvce de ce que Yip Man aurait fait.
Je pense que si on a une certaine expérience et une certaine intuition on sait reconnaître le sérieux quand on le rencontre. La "traditionnalité" est évidemment toujours très relative. Je pense que c'est moins la fidélité à la lettre qui compte que la fidélité à l'esprit (même s'il n'est pas négligeable que des gens conservent pieusement des chorégraphies, qui peuvent être utiles en cas de pertes des principes). Quand j'ai vu, d'abord en tout petit comité puis en stage, cet homme, j'ai
vu la profondeur de son travail dans le très peu qu'il montrait, c'est à dire aussi que la "tradition" au sens formel passait au second plan, parce qu'il était de ces personnes qui font avancer un style sans l'appauvrir. Là, ce n'était pas de la foi. L'art se voyait dans ses résultats.
Reste que le cavalier, j'ai progressé depuis la dernière fois :
Félicitation et bon courage pour ce ma-bo d'enfer
Chez nous, on a un "coincer la chèvre" qui n'est pas triste...